Assis sur le coin de la banquette métallique le moins exposé de l’abribus, les yeux perdus dans les ténèbres, loin derrière ces vagues de pluie qu’éclaboussent des lampadaires asthmatiques et les phares de rares voitures à la dérive, il attend.
Elle arrive, son imper ruisselant malgré l’immense parapluie dont elle s’est munie.
Regardant alternativement sa montre et les horaires affichés, elle allume une cigarette d’une main agacée.
Il se redresse imperceptiblement, tourne légèrement la tête vers ce coin d’encre d’où doit surgir ce véhicule balai des noctambules de tous poils.
Il voit ces gros yeux lumineux se rapprocher, se lève automatiquement, puis, après réflexion, se rassoit sur le même coin de banc.
Elle l’observe depuis un moment en silence, du coin du regard.
Il l’a voit soudainement juste devant lui, à le toucher.
Elle a un petit mouvement de tête et laisse échapper :
« C’était le dernier et moi, avec ce temps, j’ai plus de chance d’attraper la crève qu’un client.
Suis-moi, j’vais mettre à chauffer une assiette de soupe, pis, si tu veux, y’a un divan où tu pourras t’allonger.
Pour le reste, y f’ra jour demain.
Allez, te fais pas prier, tu vas m’faire regretter.
Tu pourras m’aider à retirer ces foutues bottes, j’ai les pieds en compote et je rêve de les sentir gigoter dans mes charentaises. »
Son regard, d’abord surpris, puis honteux, devint songeur.
Il fut debout d’un sourire, lui prit le bras et le parapluie et, à deux, ils se jetèrent dans la nuit.